Village de  Bourgvilain

71520 Saône et Loire

 

           

 

 

 

 Notes historiques et archéologiques.

 

U

n cultivateur, en minant une terre sur le plateau qui se détache du versant occidental de la montagne de Fraty, au lieu dit la Tollée, a mis à découvert, en 1859, une cinquantaine de tombeaux formés de pierres granitiques posées à sec et dont le lit et la couverture se composaient de laves ou pierres plates également non travaillées. Ces sépulcres, tous d’une longueur de 1 mètre 95, contenaient des squelettes d'hommes accusant généralement une très haute stature. Un d'entre eux était surtout remarquable pas ses énormes proportions, et le squelette, parfaitement conservé, qui reposait, ne mesurait pas moins de 2 mètres. A la hauteur du poignet, se trouvait une crosse en cuivre de la longueur de 10 à 12 cm, fortement recourbée à sa partie supérieure et terminée à sa base, par un pas de vis qui dut s'adapter à une autre pièce dont la matière, probablement tombée en poussière, n'a point été retrouvée. En dehors de même tombeau et tout à fait contre la lave formant sa têtière gisait un crâne énorme sans autres ossements, comme s'il avait été placé là en signe de trophée. Dans presque toutes les sépulcres se trouvait, vers la région des reins, une boucle de cuivre assez semblable à celles dont on se sert aujourd’hui pour serrer le gilet à la taille, ce qui prouverait que les cadavres ont été inhumés avec leurs vêtements. Nous avons oublié de dire que de larges tuiles à rebords entraient dans la construction de quelques-uns de ces tombeaux. Cette circonstance est importante à noter, car on aurait pu croire que ces sortes de sépultures, du moins celles de la Tollée, sont antérieures à l'époque romaine.

Il est regrettable que le propriétaire du champ peu soucieux des données que sa découverte pouvait offrir à la science, n'ait pas cru devoir en donner avis à l'autorité. Lorsque M. le curé Alix, à la parfaite obligeance duquel nous sommes redevable de ces diverses indications en fut averti, presque tous les débris humains avaient été déjà recouverts de terre, et les matériaux amoncelés aux limites du champ. S'il eût suivi ces fouilles, bien des objets, qui ont échappé sans doute à l’attention des ouvriers, auraient pu être recueillis. Il parait pourtant certain qu'aucune pièce de monnaie ne s'y est trouvée, ni aucun débris d'armes ou d'armures, ni rien qui soit de nature à indiquer un culte quelconque. M. le Curé signale seulement la présence de quelques débris de poterie tantôt dans l’intérieur, tantôt au dehors des tombeaux. Ce sont, dit-il, des vases en terre cuite qui, à en juger par le fragment que j'ai entre les mains, affectent assez bien la forme d'une grande écuelle n'ayant ni anses ni oreilles.

La légère couche de terre végétale de la Tollée, ajoute M. Alix, recouvre un granit dur et grenu qui ne se laisse pas facilement pénétrer. On dirait qu'on a recherché çà et là les veines les plus tendres pour y creuser une large mais peu profonde excavation et pour y construire deux, trois et jusqu'à cinq tombeaux juxtaposés. Rarement on trouve un cercueil seul. Le squelette de 2 mètres et à crosse de cuivre, dont le tombeau était extérieurement décoré d'un énorme crâne humain, est à peu près l'unique exception. Ces curieuses sépultures sont réparties sur un espace de 20 ares, sans aucune symétrie. Toutefois, les pieds des squelettes sont invariablement tournés vers l'orient quoique le terrain incline au sud-ouest.

Avant de vous expédier mes notes, nous avons voulu, M. le Maire et moi, visiter encore la Tol1ée et chercher, sur1’indication du propriétaire, quelques objets à vous présenter. La forte gelée ne nous a pas permis d'entamer le terrain et de rien découvrir; mais nos nombreuses questions ont amené une révélation curieuse.

Au centre de ces groupes de tombeaux, dans une légère inflexion du sol, on a observé les traces certaines d'un vaste brasier. Les charbons répandus sur la cendre paraissaient avoir été étouffés dans leur état incandescent par le jet de quelques pelletées de terre, au moment peut-être des travaux d’inhumation. L'espace qu'occupait ce brasier était reconnaissable sur une circonférence, à peu près régulière de 5 mètres. C’est dans le voisinage du foyer que trouvaient en plus grandes quantités, les vases de terre dont il est parlé ci-dessus.

On s'explique difficilement la présence d'un si grand nombre de tombes dans un lieu éloigné de plus d'un kilomètre du clocher de la paroisse, sur un plateau isolé et désert ou nulle trace de construction ne se rencontre et qui paraît n’avoir jamais été habité. Il y a d'autant moins lieu de s'arrêter à l’idée d'un cimetière, que parmi tous les restes humains que renfermaient ces tombeaux, il ne s'est pas trouvé un seul squelette de femme et d’enfant. Cette particularité n'indiquerait-elle pas qu'il a dû se passer là un événement militaire ?

M. Alix, à qui nous avons fait part de cette conjecture, en appelant son attention sur la taille extraordinaire des cadavres rapprochée des noms de Bourgogne et de Bataille que portent deux écarts de Bourgvilain, nous transmet la réponse qui suit ; elle nous semble assez intéressante pour être mise sous les yeux du lecteur :

La tradition n'a rien conservé sur l'origine de ces deux dénominations. L'écart nommé la Batai1le est situé sous la lisière d'un bois à l'ouest de l'église et n'a pas beaucoup d'étendue. Il a peut-être suffi d'une rixe entre particuliers pour lui imposer cette belliqueuse appellation. Quant au nom de Bourgogne, il ne serait peut-être pas sans importance, Monsieur, de vous faire remarquer que la TolIée n'est qu'une portion des champs et de l'écart de Bourgogne. En effet, sous cette dernière dénomination se trouve comprise toute la pente septentrionale d'un prolongement des bases de la montagne, de Fraty. La colline, en s'élevant au midi, va former un plateau presque horizontal, très propre à un combat. C'est sur ce plateau légèrement arrondi et à la naissance de la pente opposée à Bourgogne que se trouve le champ aux squelettes gigantesques et qu’on nomme la Tollée. En se remémorant ce que rapportent les historiens, et, entre autres, Sidoine Apollinaire, de la haute stature des Bourguignons, (1) ne serait-on pas porté à croire que quelques guerriers de cette race belliqueuse et si longtemps errante sont venus tomber sur cette colline et lui ont laissé leur nom avec leurs os ? Et le mot Tollée, qui désigne le champ où reposent ces débris humains, ne serait-il pas un lugubre mémorial d’un cri de guerre, d'un combat d'extermination ? Rien cependant, dans la configuration du terrain, n’accuse un campement. On n'y remarque ni vestiges de murs d’enceinte, ni retranchement ; d'où je conclus que, si des hommes sont tombés là les armes à la main, ils ont dû être surpris dans une marche ou une halte. Ces conjectures, qui me sont tout à fait personnelles et que je soumets à votre sagacité, n'auraient-elles pas quelque vraisemblance, surtout si l’on a égard à la position du château de Corcelles, assis à une faible distance (3 ou 400 mètres) sur le revers septentrional de la colline de Bourgogne ? Un corps de troupe avancé a pu se laisser surprendre à la Tollée, tandis que, dissimulé par le sommet du plateau, il méditait un coup de main sur le vieux manoir. Ces hypothèses, sans doute trop hasardées, tendraient à détruire, comme vous le voyez, toute idée d'un camp romain sur la montagne de Fraty, et attribueraient à une époque peut-être trop reculée l'existence du château fort de Corcelles. Je n’ai pas d'autres titres à faire va1oir concernant son antiquité, son importance et les assauts qu'il a pu soutenir, que ses fossés et ce que disent les vieillards de ses tours percées de meurtrières et de la cour de justice des seigneurs qui tenait ses assises sur un tertre verdoyant, ombragé d'un ormeau dont ils désignent encore l'emplacement, d'après le récit de leurs aïeux. Mais tout cela ne fixe point de date et n'établit pas assez sûrement que le château a été le point de mire de ces guerriers aux formes colossales.

Nous croyons devoir laisser à nos lecteurs le soin d'apprécier la valeur des hypothèses émises par notre érudit correspondant. L'idée d'une surprise dans une halte nous était venue tout d'abord, et elle nous semble d'autant plus acceptable que le brasier' éteint et les débris de poterie trouvés autour ne se rapportent pas mal à la disposition d'un bivouac. D'une autre part, l'apparition d'un détachement de Bourguignons dans cette petite vallée du Valouzin n'aurait rien d'invraisemblable. Lorsque ce peuple vint prendre possession du pays, il dut nécessairement éprouver quelque résistance. Toutefois ce ne serait pas, selon nous, une raison pour supposer que les Bourguignons ou n'importe quels guerriers aient été battus dans cette rencontre. Le fait des inhumations dans des tombeaux dont les matériaux n'existent qu'en partie sur1es lieux (les laves proviennent des carrières de Mazille, situé à 7 km de là), seraient au contraire la preuve qu'ils eurent l'avantage dans le combat, sur l'ennemi, s'il eut été vainqueur, n’aurait certes pas pris le soin de donner de semblables sépultures à leurs morts.

Quoi qu’il en soit, on ne saurait, en aucune manière, faire remonter cet événement militaire à l'invasion des Burgondes dans nos pays.

Au moment même de livrer cette feuille à l'impression, nous apprenons que la poterie dont les fragments ont été trouvés dans les tombeaux est vernissée. Elle ne peut conséquemment appartenir à une époque antérieure au XVème siècle. C'est seulement, en effet vers ce temps que l'usage de cette sorte de poterie, qui nous vient de l'Italie et de l'Espagne, a commencé à se répandre en France. Nous croyons donc que l’engagement en question dut être contemporain des guerres de la France contre Phililpe-le-Bon, duc de Bourgogne. Les armées françaises, aidées des Lombards, avaient envahi le duché en 1423, et s’étaient emparées de plusieurs châteaux forts dans cette partie du Mâconnais.

On trouvera sans doute que nous avons donné un bien grand développement à cette notice. Mais il nous a semblé qu'il n’était pas tout à fait hors de propos de fixer d'une manière particulière l'attention des archéologues sur le genre de tombeaux découverts à la Tollée et qui se rencontrent, d'ailleurs, fréquemment dans notre province. En effet, on leur attribue assez communément une origine exclusivement gauloise, tandis que quelques personnes leur assignent une date postérieure à l’invasion des Bourguignons et des Francs. Il est certain que les Romains pratiquèrent ce mode d'inhumations dans nos contrées, quand l’usage se perdit de brûler les morts urguignons et des Francs. Il est certain que les Romains pratiquèrent ce mode d'inhumations dans nos contrées, quand l’usage se perdit de brûler les morts